Colloque organisé par le Collège d’études mondiales -Fondation Maison des sciences de l’homme et la Société Pierre-Joseph Proudhon
Vendredi 16 novembre 2018
CEDIAS – Musée social
5 Rue las Cases, 75007 Paris
Métro rue du Bac
Présentation
Cette année marque le 170ème anniversaire de la Révolution de février 1848, anniversaire également de la première mise en pratique du suffrage universel masculin en France, des journées tragiques de juin 1848 puis de l’élection d’une Assemblée conservatrice et d’un Bonaparte à la tête du pouvoir exécutif.
L’histoire de la Deuxième République est en partie celle du triomphe éphémère des premiers socialismes, suivi rapidement par leur épuration politique. Cet échec a laissé un sentiment d’amertume qui a profondément marqué le socialisme français et qui a même animé dans son sillage l’émergence de l’anarchisme en tant qu’une nébuleuse de doctrines radicalement hostiles à l’État. Pourtant, sur le plan revendicatif, la présence des socialistes au Gouvernement provisoire et les discussions que leur présence a suscitées – à l’égard du rôle de l’État dans l’économie pour régler les problèmes liés à la concurrence et au chômage, de la légitimité d’un « droit au travail », des subventions à accorder aux associations ouvrières, de la réglementation du marché du travail, etc. – a mis au premier plan pour la première fois dans la vie politique française les questions économiques et sociales.
Mais les premiers militants de la « démocratie sociale » n’étaient pas les seuls grands perdants politiques de la Deuxième République, Même ceux qui ont rapidement réagi pour s’opposer à la « démocratie sociale » n’ont pas pu maîtriser les dynamiques politiques déchaînées par l’avènement du suffrage universel masculin. Les partisans de la réforme électorale en 1847, des orléanistes les plus progressistes aux républicains les plus hardis et aux futurs « démoc-soc », n’ont pas anticipé avant la Révolution de 1848, ce que de nos jours on a encore du mal à accepter, c’est que la démocratie puisse être mise au service des forces politiques conservatrices et autoritaires autant qu’à celles de gauche au sens large du terme. Voilà l’amère leçon que nous aura offerte, dans sa courte vie, la Deuxième République française. Un peu de la même manière, la plus longue histoire des relations inter-étatiques européennes allant de 1848 à 1945 nous enseignera que le « printemps des peuples » annoncé avec optimisme par des républicains en 1848, tous ou presque partisans du principe des nationalités (et donc du démantèlement de l’Empire autrichien, de l’unification allemande et italienne, etc.), pouvait très bien lui aussi charrier dans son sillage des catastrophes inattendues. Si l’alliance des revendications de souveraineté populaire avec l’idée d’État-nation a pu être un terreau extraordinairement favorable au déclenchement d’une guerre civile européenne au XXe siècle, les élections démocratiques, loin de constituer une panacée en elles-mêmes, ont pu servir, comme elles pourraient servir encore, à légitimer un pouvoir dictatorial, surtout lorsqu’il s’appuie sur un exécutif fort. Moins férus de références à l’histoire romaine et de lectures de Polybe et de Machiavel que les théoriciens politiques d’avant le traumatisme du fascisme et du nazisme, les politologues contemporains ont même inventé un néologisme récent pour décrire le phénomène du rapport intime entre le césarisme et la démocratie : « démocrature », type de régime qui caractérise la majorité des gouvernements dans le monde aujourd’hui. Ainsi l’éternelle impuissance des intellectuels, tourmentés par l’expression démocratique de l’antiélitisme des classes populaires poursuit son cours…
Ici, une relecture de Proudhon et des auteurs de son temps pourrait s’avérer utile.
Car Proudhon, en analysant les problèmes de la démocratie et en critiquant ceux qui prônaient une solution politique aux problèmes sociaux, ne s’est jamais montré un conservateur se contentant de renforcer l’ordre établi. « La démocratie est impuissante à résoudre la question sociale » écrit-il dès le 26 mars 1848, bien avant la fermeture des Ateliers nationaux, l’insurrection ouvrière de Juin 1848 et sa répression. Les moyens préconisés par Proudhon pour arriver à l’autonomie du social face au politique étaient parfois changeants. Sa critique de la propriété sous la Monarchie de Juillet se transforme dans la panacée du « crédit gratuit » en 1848 avec le projet de la Banque du Peuple, puis se transforme encore sous le Second Empire dans la double revendication du fédéralisme économique et de la décentralisation politique. Mais sous la Deuxième République, Proudhon restait solidaire politiquement des mêmes socialistes qu’il critiquait sur des points de doctrine, et il n’hésitait pas à affronter conservateurs et économistes libéraux pour soutenir le développement des associations ouvrières, malgré, par exemple, ses critiques constantes de l’idée d’association portée entre autres par Louis Blanc ou Pierre Leroux. De nos jours, son nom est parfois associé au mouvement de « l’économie sociale et solidaire ». Mais que dire de cette filiation à un moment où le social-libéralisme appréhende cette dernière comme un social business sans portée d’émancipation sociale ?
Dans ses réflexions sur le rapport entre représentant et représenté, et sur tout ce qu’il peut avoir de problématique, Proudhon reste profondément actuel et même, depuis l’émergence, à la fin du XIXe siècle, des cycles électoraux gravitant autour des partis politiques institutionnalisés, quasi-prophétique. Proudhon dénonçait le rôle de « l’envie » dans la vie politique des systèmes représentatifs, rôle qu’il considérait comme encore plus important au sein des démocraties. Le cas de 1848 est révélateur dans ce sens : si une fraction de la bourgeoisie a initié une révolution que très vite elle n’a su ni contrôler ni gérer, une fraction importante des classes populaires s’est ralliée à plusieurs reprises à un chef du pouvoir exécutif fort par mépris du pouvoir législatif et des parlementaires. Ne voit-on pas dans ce fait une certaine actualité politique récurrente ? Les électeurs d’aujourd’hui sont-ils réellement plus satisfaits de l’offre politique que les électeurs masculins émancipés de la Deuxième République ? Et si, du point de vue des démocrates-socialistes de 1848, la Révolution de février a été en grande partie « avortée » à cause des machinations des diverses forces de la réaction, dans quelle mesure pourrait-on dire aussi que leur échec était, indépendamment de ces machinations, inéluctable ? Ou, pour le dire différemment, dans quelle mesure leur échec était-il lié aux conditions intrinsèques d’une certaine conception de la démocratie à laquelle adhèrent toujours tant de nos contemporains déçus par la politique ?
Aujourd’hui en France, le socialisme va mal politiquement. Les « acquis sociaux » du mouvement ouvrier du XXe siècle sont en train d’être démantelés. En France, on gouverne « par décret », et partout ailleurs on voit émerger des chefs politiques autoritaires élus démocratiquement. La dernière fois que nos contemporains ont évoqué le souvenir de 1848, au moment du « printemps arabe » de 2010-2012, nous semble bien loin. Ce colloque propose de revenir aux contemporains des évènements de 1848 pour voir quelles leçons on pourrait en tirer pour mieux affronter notre propre univers politique et social.